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Démolition soumise au contrôle de proportionnalité au regard du droit au domicile

Sanction de l’empiètement d’une servitude de passage : la démolition face au respect du droit au domicile

Cass. Civ 3ème 19 décembre 2019, n°18-25.113

 

Dans un arrêt rendu le 19 décembre 2019 au visa de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), la 3ème chambre civile de la Cour de cassation semble apporter un fléchissement à sa jurisprudence en matière de sanction d’un empiètement sur l’assiette d’une servitude de passage.

En l’espèce, les propriétaires d’un fonds grevé d’une servitude de passage d’une largeur de huit mètres ont fait construire une maison d’habitation individuelle empiétant sur le terrain d’assiette de la servitude de passage.

Les propriétaires du fonds dominant ont assigné les propriétaires du fonds servant devant le Juge des référés en suppression des constructions empiétant sur l’assiette de la servitude.

La Cour d’appel de Dijon a confirmé la solution des premiers juges et ordonné la démolition de la construction en retenant que :

  • du fait de l’empiétement, l’assiette de la servitude de passage est réduite de moitié à hauteur du garage édifié ;
  • un déplacement de l’assiette de la servitude ne peut être imposé au propriétaire du fonds dominant que dans les conditions prévues au dernier alinéa de l’article 701 du Code civil, ces conditions n’étant pas réunies en l’espèce.

Les propriétaires du fonds servant ont formé un pourvoi en cassation.

La 3ème chambre civile de la Cour de cassation fait droit au moyen des requérants et casse l’arrêt d’appel, en jugeant que la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision, en ne recherchant pas comme il le lui était demandé si la mesure de démolition n’était pas disproportionnée au regard du droit au respect du domicile des propriétaires du fonds servant tiré de l’article 8 de la CEDH.

En d’autres termes, la Cour de cassation reconnaît dans cet arrêt la possibilité pour l’auteur d’un empiètement d’invoquer le droit au respect de son domicile sur le terrain de l’article 8 de la CEDH et l’obligation pour le Juge du fond, si un tel moyen est invoqué, d’opérer un contrôle de proportionnalité entre le droit réel tenant au respect de la servitude de passage et le droit au respect du domicile de l’auteur de l’empiètement.

Cet arrêt, rendu pour un défaut de base légale, dans une espèce particulière de construction d’une maison individuelle, doit être interprété avec précaution.

Néanmoins, il semble offrir, pour certains auteurs, la possibilité au Juge du fond d’ordonner, le cas échéant,  une mesure alternative à la démolition, si la démolition n’était pas justifiée au regard du juste équilibre entre le droit au respect de la servitude de passage et le droit au respect du domicile de l’auteur de l’empiètement (cf. Christophe SIZAIRE, « Servitude et empiètement – Contrôle de proportionnalité de la demande de démolition », Comm. n°24, Construction-Urbanisme n°2, février 2020, LexisNexis).

Pour rappel, jusqu’à présent, la Cour de cassation retenait une solution similaire en matière d’empiètement d’une assiette de servitude de passage et en matière d’empiètement de la propriété d’autrui en jugeant que « la démolition est la sanction d’un droit réel transgressé » et censurait systématiquement les Juges du fonds qui allouaient des dommages et intérêts en lieu et place d’une mesure de démolition (voir par exemple, Cass. Civ. 3ème ., 17 décembre 2003, n° 02-10.300).

Récemment encore, la Cour de cassation a pu juger en matière d’empiètement sur le fonds d’autrui que « la démolition étant la seule mesure de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien, l’ingérence qui en résulte au regard du droit au domicile de l’occupant [tiré de l’article 8 CEDH] ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété » (Cass. Civ. 3ème , 17 mai 2018, n° 16-15.792, publié au Bulletin).

Dans ce contexte, il est souhaitable que la 3ème chambre civile de la Cour de cassation  précise le plus tôt possible, la solution de cet arrêt du 19 décembre 2019 et le contrôle de proportionnalité qu’elle instaure.

Dans cette attente, une incertitude demeure quant à l’existence ou non d’une distinction à opérer  entre la sanction d’un empiètement sur la propriété d’autrui, qui ne pourrait être que la démolition, et la sanction d’un empiètement d’une assiette de servitude de passage, qui pourrait le cas échéant faire l’objet d’une mesure alternative à la démolition si elle apparait disproportionnée au regard du droit au respect du domicile.

 

 

Vincent BARAY

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