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Loyers commerciaux « covid » : bientôt une position claire de la Cour de cassation ?

Les ordonnances n° 2020-306 et 2020-316 du 25 mars 2020 ont exclu la mise en œuvre de la clause résolutoire pendant l’état d’urgence sanitaire, mais n’ont pas pour autant suspendu l’exigibilité des loyers dus par les preneurs des baux commerciaux pendant cette période.

Pour autant, nombreux sont les preneurs qui ont arrêté de payer leurs loyers et qui ont été assignés en acquisition de la clause résolutoire devant le juge des référés comme le prévoient généralement les baux en cas de défaut de paiement.

Pour tenter de faire obstacle à l’acquisition de la clause résolutoire et de « justifier » le non-paiement des loyers, les preneurs ont soulevé plusieurs contestations sérieuses :

  • L’exception d’inexécution du fait du manquement du bailleur à son obligation de délivrance,
  • La force majeure,
  • La perte de la chose louée.

S’agissant des deux premiers arguments, ils n’ont pas été retenus par les juges :

  • L’absence de paiement des loyers par le preneur ne peut pas être justifiée par un manquement du bailleur à son obligation de délivrance, dans la mesure où la fermeture administrative imposée aux preneurs du fait de l’activité exercée dans les locaux par des mesures législatives et réglementaires est indépendante de la volonté du bailleur.
  • L’obligation de paiement des loyers ne peut être suspendue du fait de la force majeure, car il est de jurisprudence constante que le paiement d’une obligation contractuelle de somme d’argent est toujours susceptible d’exécution, puisqu’elle implique le patrimoine du débiteur et non une action de ce dernier.

Reste la perte de la chose louée qui a rencontré un « certain succès » auprès de quelques juges du fond en 2021, notamment de la Cour d’appel de Paris.

L’article 1722 du Code civil dispose que « si pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement. »

On peut s’étonner du choix de ce fondement dans la mesure où les locaux loués n’ont pas été détruits à proprement parler du fait des fermetures administratives édictées en vue de lutter contre l’épidémie de Covid 19.

En réalité, il a été relevé par certains juges du fond que la « destruction de la chose louée peut s’entendre d’une perte matérielle de la chose louée mais également d’une perte juridique, notamment en cas d’une décision administrative » et que « la perte peut être totale ou partielle, la perte partielle pouvant s’entendre de toutes circonstances diminuant sensiblement l’usage de la chose ».

Ainsi, ce fondement a pu être utilisé pour retenir une contestation sérieuse faisant échec à une demande en référé de voir constatée l’acquisition de la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers pendant la période d’état d’urgence sanitaire (cf. CA Paris Pole 1 chambre 3, 30 juin 2021, n° 20/15566 ; CA Aix-en-Provence, chambre 1-2 du 24 juin 2021, n° 20/06465 ; CA Paris Pole 1 chambre 2, 12 mai 2021, n°20/17489 ; CA Versailles, 14e chambre 4 mars 2021, n°20/02572. Pour une position contraire cf. CA Lyon, 8ème chambre 31 mars 2021, n°20/05237 : « le bien loué n’a été aucunement détruit, que ce soit en totalité ou en partie, l’impossibilité d’exploitation ne pouvant aucunement être assimilé à une destruction, sauf à détourner de leur sens les dispositions [de l’article 1722 du code civil] ».

Lorsqu’ils ont retenu l’existence d’une « perte juridique », les juges du fond ont souvent visé deux arrêts de la Cour de cassation de 1962 et de 2007. Pourtant, ces deux arrêts ne sont pas probants :

  • L’arrêt de la Cour de cassation de la Chambre commerciale du 19 juin 1962, publié (Bulletin n°323), indique que l’article 1722 du Code civil n’est pas approprié en cas de fermeture administrative d’un établissement, la Cour de cassation procédant à une substitution de motifs en expliquant que c’est dans ce cas l’article 1741 du Code civil relatif à la perte de la chose louée qui doit être utilisé pour prononcer la résiliation du bail, et non l’article 1722 du Code civil.
  • L’arrêt de la Cour de cassation de la Troisième chambre civile du 30 octobre 2007, inédit (pourvoi n° 07-11939), qui est très court (un seul paragraphe de 4 lignes), rejette le pourvoi dirigé contre la décision de résiliation d’un bail des locaux situés dans un centre commercial du fait de la fermeture administrative dudit centre commercial. Il n’est nullement fait référence à l’article 1722 du Code civil et c’est le terme de « perte » qui est utilisé (renvoyant donc à l’article 1740 du Code civil).

Ainsi, l’article 1722 du Code civil n’a jamais été utilisé par la Cour de cassation pour faire doit à une demande de réduction du loyer en cas de fermeture administrative, ni même de résiliation du bail commercial.

Pour la sécurité juridique et l’unité de l’application du droit sur l’ensemble du territoire national, une position claire de la Cour de cassation est nécessaire.

Le Tribunal judiciaire de Chartes l’a bien compris, et a sollicité la Cour de cassation pour avis (cf. avis n°21-70.013). Cette saisine est prévue par l’article L 441-1 du code de l’organisation judiciaire et permet à une juridiction, saisie d’un litige et qui doit statuer sur « une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges », de solliciter préalablement un avis de la Cour de cassation sur cette question. La séance de la troisième chambre civile de la Cour de cassation portant sur la demande d’avis du Tribunal judiciaire de Chartes est prévue le 5 octobre prochain.

Si cet avis est jugé recevable par la Cour de cassation au regard des conditions posées par le code d’organisation judiciaire, il permettra de connaître la position de la Cour de cassation sur les trois fondements évoqués ci-dessous, sans attendre un arrêt en bonne et due forme, dans le cadre d’un pourvoi formé dans un contentieux en particulier.

A suivre donc…

 

Cécile BENOIT-RENAUDIN

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