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Précisions de la Cour de cassation sur la clause d’exclusion de responsabilité in solidum de l’architecte et la mise en jeu de sa responsabilité en cas de dépassement du coût prévisionnel des travaux

Cass. Civ. 3ème 19 janvier 2022, pourvoi n°20-15.376

Dans un arrêt en date du 19 janvier 2022, la Cour de cassation vient apporter une solution inédite en limitant l’application de la clause d’exclusion de solidarité en cas de faute d’un architecte à l’origine de l’entier dommage subi par le maître de l’ouvrage.

Par ailleurs, la Cour de cassation vient limiter la responsabilité de l’architecte en cas de dépassement du coût prévisionnel des travaux.

En l’espèce, les acquéreurs d’un bien immobilier ont entrepris des travaux de rénovation dont la maîtrise d’œuvre a été confiée à un architecte.

Se plaignant de malfaçons et d’imprévisions ayant notamment entraîné un dépassement du budget, les acquéreurs ont recherché la responsabilité de l’architecte et la garantie de son assureur afin d’obtenir une indemnisation de leur préjudice.

Il convient de préciser que l’ouvrage n’avait pas fait l’objet d’une réception, de sorte que l’action des maîtres d’ouvrage dirigée contre l’architecte était fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun de l’ancien article 1147 du Code civil (dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016).

1°/ Tout d’abord, dans sa décision, la Cour de cassation devait se prononcer sur la portée de la clause d’exclusion de solidarité qui était prévue dans le contrat de l’architecte et qui était libellée comme suit : « [l’architecte] ne pourra être tenu responsable ni solidairement, ni in solidum, des fautes commises par d’autres intervenants à l’opération ».

Une telle clause est assez fréquente en pratique puisqu’elle figure dans les contrats types proposés par le Conseil National de l’Ordre des Architectes.

Si, par le passé, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de reconnaître la validité d’une telle clause (Cass. Civ. 3ème, 19 mars 2013, pourvoi n° 11-25.266), refusant d’ailleurs de qualifier cette clause d’abusive au sens du droit de la consommation (Cass. Civ. 3ème, 7 mars 2019, pourvoi n° 18-11.995), celle-ci avait été jusqu’à admettre que la responsabilité de l’architecte pouvait se trouver limitée « aux seuls dommages qui étaient la conséquence directe de ses fautes personnelles, en proportion de sa part de responsabilité » (Cass. Civ. 3ème, 19 mars 2020, pourvoi n° 18-25.585).

En l’espèce, la Cour d’appel de Nîmes avait tenu compte de cette jurisprudence de la Cour de cassation en admettant la validité de cette clause d’exclusion de solidarité stipulée dans le contrat, pour venir limiter l’obligation de réparation de l’architecte et de son assureur à une fraction des dommages.

Cependant, la Cour de cassation vient censurer cette décision en rappelant que « une telle clause ne limite pas la responsabilité de l’architecte tenu de réparer les conséquences de sa propre faute, le cas échéant, in solidum avec d’autres constructeurs. Elle ne saurait avoir pour effet de réduire le droit à réparation du maître d’ouvrage contre l’architecte quand sa faute a concouru à la réalisation de l’entier dommage ».

En procédant de la sorte, la Cour de cassation rappelle la théorie de l’obligation in solidum, d’origine prétorienne, selon laquelle la victime peut actionner en paiement pour le tout le codébiteur de son choix à partir du moment où la faute commise par celui-ci a contribué à la réalisation de l’entier dommage.

Concrètement cela signifie que, au stade de l’obligation à la dette, le maître d’ouvrage peut solliciter la condamnation de l’un des constructeurs de son choix pour obtenir le règlement de la totalité de la dette.

Mais, au stade de la contribution à la dette, le constructeur condamné pour le tout pourra se retourner contre les autres constructeurs afin d’obtenir le règlement des sommes qui excèdent sa propre part réglée au profit du maître de l’ouvrage.

2°/ L’autre apport de cet arrêt réside dans la position relativement stricte prise par la Cour de cassation selon laquelle, en cas de dépassement du budget prévisionnel des travaux fixé par le maître de l’ouvrage, l’architecte n’engage sa responsabilité qu’à partir du moment où il est démontré un lien direct de causalité entre le préjudice lié à ce surcoût et les fautes de l’architecte.

Si la Cour de cassation avait déjà pu considérer que l’architecte commettait une faute dès lors qu’il « avait dépassé le budget fixé pour la réalisation des travaux » (Cass. Civ. 3ème, 29 mars 2011, pourvoi n° 10-14.510), il incombait au maître de l’ouvrage d’établir l’existence d’un lien de causalité entre la faute reprochée et le préjudice consécutif au dépassement du budget (Cass. Civ. 3ème, 18 févr. 2016, pourvoi n° 15-12.221).

Cependant, dans d’autres décisions, la Cour de cassation avait pu admettre que le maître d’ouvrage pouvait obtenir une réparation du préjudice subi en cas de dépassement du budget des travaux (Cass. civ. 3ème, 21 juin 2000, pourvoi n° 98-21.528 ; Cass. Civ. 3ème, 13 juin 2019, pourvoi n°18-16.643).

Un tel courant jurisprudentiel pouvait paraître critiquable au regard du principe de réparation intégrale du préjudice puisque, à condition de démontrer une faute de l’architecte au titre d’un dépassement de budget, le maître de l’ouvrage pouvait se voir indemniser du coût des travaux supplémentaires réalisés sur un ouvrage dont il bénéficiait et qu’il aurait en tout état de cause dû payer.

Afin d’éviter un tel écueil, la Cour de cassation insiste ici sur le fait que : « si le projet de l’architecte avait été correctement réalisé, [les maîtres de l’ouvrage] auraient dû nécessairement payer le surcoût correspondant aux prestations complémentaires omises dans son évaluation » pour en déduire l’absence de lien direct de causalité entre le préjudice consécutif au dépassement du budget et les fautes de l’architecte.

La lecture de cet arrêt laisse finalement entrevoir une sorte de compromis trouvé par la Cour de cassation entre les intérêts en présence : d’un côté, l’architecte constatera la réduction du champ d’application des clauses d’exclusion de solidarité qu’il est susceptible d’opposer au maître d’ouvrage et, d’un autre côté, le maître d’ouvrage constatera la réduction des hypothèses dans lesquelles il sera en mesure de rechercher la responsabilité de l’architecte en cas de dépassement du budget de travaux.

 

Bertrand RABOURDIN

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