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Sur la requalification partielle d’un marché de travaux forfaitaire en marché de travaux de droit commun

Cass. Civ. 3ème, 25 juin 2020, n°19-11.412

 

 

Dans un arrêt du 25 juin 2020, la Cour de cassation fait une interprétation flexible de la notion de marché de travaux forfaitaire afin de lui permettre de conclure qu’un marché de travaux peut être forfaitaire pour une partie seulement des travaux convenus.

 

Les faits de l’espèce étaient les suivants : une société, maître d’ouvrage, avait confié à une entreprise les travaux de rénovation et d’aménagement d’une villa.

 

Après expertise, le maître d’ouvrage assigné par l’entreprise en paiement du solde de son marché, a formé une demande reconventionnelle en indemnisation des préjudices liés à l’existence de désordres dans la villa.

 

Le marché de travaux contenait une clause stipulant expressément que le prix était global et forfaitaire, mais certains postes prévus n’étaient pas chiffrés de manière précise et définitive, renvoyant pour certains lots à des travaux à définir ultérieurement.

 

Ainsi, le marché ne prévoyait qu’un estimatif pour les travaux d’électricité, ne fixait aucun budget pour les placards, accordait au maître de l’ouvrage le choix de certains matériaux et laissait subsister des aléas susceptibles d’influer sur la nature et le volume du descriptif arrêté pour le second œuvre et le lot peinture et enduits.

 

Le maître d’ouvrage arguait du caractère forfaitaire du marché de travaux pour refuser tout règlement complémentaire en plus du prix convenu dans le marché initial, tandis que l’entreprise relevait l’imprécision du chiffrage d’origine, incompatible avec la notion de marché forfaitaire, pour fonder sa demande de règlement au titre des travaux supplémentaires, en plus de ceux chiffrés dans le marché initial, qui avaient été réalisés.

 

Les Juges de la Cour d’appel ont condamné le maître d’ouvrage à régler une certaine somme à l’entreprise au titre du solde de son marché de travaux, en écartant purement et simplement la qualification de marché à forfait et en considérant que si le marché pouvait par principe comporter des postes forfaitaires et d’autres non, encore fallait-il que tous les postes entrant dans le champ d’application du marché soient budgétisés et qu’en l’occurrence le marché ne prévoyait pas de prix définitif pour certains des postes. 

 

Autrement dit, la Cour d’appel a considéré que le marché, au regard de son imprécision et nonobstant la clause prévoyant expressément un prix global et forfaitaire, ne pouvait avoir de caractère forfaitaire, de sorte que le coût des travaux supplémentaires réalisés devait s’ajouter au prix d’origine prévu dans le marché et faire aussi l’objet d’un règlement au profit de l’entreprise.

 

A l’origine du pourvoi, le maître d’ouvrage sollicitait l’infirmation de l’arrêt d’appel au motif que « le prix global et définitif, condition de l’existence d’un forfait, peut ne concerner qu’une partie de la construction, de sorte que l’existence d’un aléa susceptible d’affecter le prix de seulement certains des postes du marché n’est pas de nature à exclure que les autres postes, dont le prix a été fixé de manière définitive et globale constituent un marché à forfait ».

 

Il en déduisait que la Cour d’appel, violant en cela l’article 1793 du Code civil, s’était fondée sur une circonstance inopérante à écarter la qualification de marché à forfait au titre des lots dont le prix était fixé de manière définitive et forfaitaire.

 

En d’autres termes : bien qu’il s’agisse d’un document unique, selon l’auteur du pourvoi, le marché de travaux pouvait revêtir partiellement un caractère forfaitaire, c’est à dire pour certains lots seulement, à l’inverse de ceux qui n’avaient pas été précisément chiffrés.

 

Il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 1793 du Code civil, le caractère forfaitaire du marché de travaux exclut la possibilité de demander une augmentation de prix, ni sous le prétexte de l’augmentation de la main-d’œuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d’augmentations faits sur les plans convenus, si ces changements ou augmentations n’ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire.

 

En application de ces dispositions, il n’est donc possible de solliciter une augmentation de prix, en présence d’un marché forfaitaire, que si cette augmentation a été autorisée par écrit avec le maître d’ouvrage. 

 

L’alternative proposée à la Cour de cassation était donc la suivante :

 

  • suivre la commune intention initiale des parties, qui avaient qualifié de forfaitaire le marché de travaux, et rejeter dès lors tous coûts supplémentaires tels qu’ils étaient allégués par l’entreprise au titre du règlement du solde de son marché ;
  • déduire de l’imprécision de nombreux postes prévus dans le marché de travaux que ledit marché ne pouvait revêtir de caractère forfaitaire et faire droit par conséquent aux coûts supplémentaires tels qu’ils étaient allégués par l’entreprise au titre du règlement du solde de son marché de travaux.

 

La Cour de cassation n’a pas réellement tranché en faveur de l’une ou l’autre de ces options, en privilégiant une voie médiane : faisant sienne l’argumentation développée par l’auteur du pourvoi, elle a censuré l’arrêt d’appel, au visa de l’article 1793 du Code civil et au motif qu’en « statuant ainsi, alors qu’un marché peut être forfaitaire pour une partie seulement des travaux convenus, la cour d’appel, qui a relevé que le marché en cause comprenait d’autres lots que ceux pour lesquels le caractère forfaitaire n’était pas établi, a violé le texte susvisé. »

 

Dès lors, un marché de travaux peut être forfaitaire pour une partie seulement des travaux convenus.

 

Il convient donc de distinguer les lots chiffrés précisément dès l’origine, inclus dans le marché forfaitaire et ne pouvant donner lieu, sans autorisation expresse du maître de l’ouvrage, à aucun règlement complémentaire autre que le prix forfaitaire prévu au marché, des lots insuffisamment précis lors de la signature du marché de travaux, ne pouvant revêtir de caractère forfaitaire et susceptibles dès lors de donner lieu à un règlement supplémentaire de la part du maître d’ouvrage.

 

Il est possible qu’une telle décision de la Cour de cassation génère un certain contentieux.

 

En effet, il pourrait en pratique s’avérer délicat de distinguer ce qui relève du caractère forfaitaire du marché de travaux, de ce qui doit en être exclu et relever du contrat de louage d’ouvrage de droit commun.

 

Dans le but de prévenir toute difficulté, il sera préférable, en présence d’un marché de travaux forfaitaire, d’y annexer un devis suffisamment clair et détaillé pour écarter tout risque de requalification partielle de postes qui n’auraient pas été chiffrés avec suffisamment de précision.

 

 

Djinn QUÉVREUX-ROBINE

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