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Cass. Civ. 3ème, 6 juillet 2023 n°21-15239

En matière de sous-traitance de marchés de travaux, le maître d’ouvrage doit-il vérifier que la caution fournie par l’entrepreneur principal a été délivrée au moment de la signature du contrat de sous-traitance ?

Telle était la question soumise à la Cour de cassation dans cette affaire, dans une hypothèse peu fréquente où l’entrepreneur principal ne faisait pas l’objet d’une procédure collective et où la nullité du contrat de sous-traitance (en réalité de deux contrats pour deux opérations immobilières entre les mêmes parties) avait été demandée.

En effet, un sous-traitant avait assigné à la fois l’entrepreneur principal et le maître d’ouvrage en demandant leur condamnation « solidaire » pour les sommes à lui verser à raison de la nullité des deux contrats de sous-traitance.

Deux cautions avaient été fournies par l’entrepreneur principal, mais après la signature des contrats de sous-traitance : quelques jours pour la première opération et un peu moins de deux mois pour la seconde opération.

Sans surprise au regard d’une jurisprudence constante sur ce point, la nullité des deux contrats de sous-traitance a été prononcée par les juges du fond, et ce en dépit du fait que les sous-contrats avaient été exécutés et payés à 95%.

Pour l’évaluation du prix des prestations sous-traitées réalisées, la Cour d’appel de Bordeaux a désigné un expert judiciaire.

Restait à savoir si le maître d’ouvrage devait être condamné.

Les juges du fond ont mis hors de cause le maître d’ouvrage, au motif qu’il avait bien eu communication des cautions fournies dans le cadre de la procédure d’agrément et d’acceptation des conditions de paiement en vertu d’une procédure spéciale qu’il avait mise en place en cas de sous-traitance.

En effet, le maître d’ouvrage imposait, au titre des documents nécessaires à l’agrément des sous-traitants et l’acceptation de leurs conditions de paiement, que lui soit transmise la copie de la caution obtenue si aucune délégation n’était mise en place.

Le maître d’ouvrage avait donc bien connaissance de la copie de la caution fournie par l’entrepreneur principal, et ce, au moment de la demande « d’agrément » du sous-traitant présentée par l’entrepreneur principal.

Contestant la mise hors du cause du maître d’ouvrage, le sous-traitant estimait que la caution ne lui avait pas été fournie « en temps utile », c’est-à-dire au moment de la signature du contrat de sous-traitance, et qu’en conséquence, le maître d’ouvrage n’avait pas respecté les dispositions de l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975. D’où son pourvoi.

Dans un arrêt rendu par la troisième chambre de la Cour de cassation le 6 juillet 2023 (n°21-15239), qui est publié au Bulletin, il a été jugé que « Satisfait aux obligations prévues par ce texte le maître de l’ouvrage qui s’assure, à la date à laquelle il a connaissance d’un marché en sous-traitance, de la délivrance d’une caution au bénéfice du sous-traitant, peu important que celui-ci fasse le choix, plutôt que de mettre en œuvre la garantie de paiement qui lui bénéficie, de poursuivre la nullité du contrat, au motif que la caution n’a pas été obtenue préalablement ou concomitamment au sous-traité. »

Ce faisant, le pourvoi a été rejeté, et la mise hors de cause du maître d’ouvrage confirmée.

Par le passé, la Cour de cassation a pu se montrer exigeante avec le maître d’ouvrage, surtout dans les cas où l’entrepreneur principal était en liquidation judiciaire. Ainsi, il a été jugé que le maître d’ouvrage devait vérifier que l’entrepreneur principal avait obtenu une caution et que ce dernier l’avait bien transmise au sous-traitant (cf. Cass. Civ. 3ème, 18 juin 2003, n°01-17366, Bull. III, n° 131 ; Cass. Civ. 3ème, 8 septembre 2021, n°09-68724, Bull. III, n° 150).

Il a aussi été jugé que le maître d’ouvrage devait vérifier l’efficacité des mesures qu’il mettait en œuvre pour satisfaire aux obligations mises à sa charge par l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 (cf. Cass. Civ. 3ème 21 novembre 2012, n°11-25101).

S’il ne le faisait pas, il commettait une faute délictuelle à l’égard du sous-traitant, dont ce dernier pouvait obtenir réparation.

Récemment, la Cour de cassation a même validé la condamnation d’un maître d’ouvrage, les juges du fond ayant considéré qu’il avait contribué à la nullité du contrat de sous-traitance en n’ayant pas exigé la communication de la caution par l’entrepreneur principal (cf. Cass. Civ. 3ème, 14 janvier 2021, n° 19-23628, inédit).

Dans notre espèce, la caution avait bien été obtenue, mais après la signature du contrat de sous-traitance. Si la date de remise de la caution est déterminante pour le sous-traitant lorsqu’il invoque la nullité du sous-traité prévue à l’article 14 de la loi sur la sous-traitance, est-ce que le maître d’ouvrage doit être soumis à la même date ?

L’arrêt du 14 janvier 2021 précité, non publié au Bulletin, semblait l’imposer, mais dans notre espèce qui donne lieu à une publication au Bulletin, les magistrats de la 3ème chambre ont estimé que le maître d’ouvrage avait bien rempli ses obligations à la date où il a su qu’il y avait un sous-traitant.

Ainsi, c’est à la date où le maître d’ouvrage a connaissance d’une situation de sous-traitance qu’il doit vérifier que « tout est en règle » et qu’une caution a bien été obtenue (en l’absence de délégation de paiement). Autrement dit, le texte de l’article 14-1 de la loi sur la sous-traitance ne fait pas du maître d’ouvrage de travaux le garant de la validité du sous-traité prévue à l’article 14 de la même loi.

Cette décision apporte ainsi une précision utile sur le moment où doit être appréciée la délivrance de la caution au maître d’ouvrage : c’est seulement au moment où il a connaissance d’un marché de sous-traitance.

En revanche, l’arrêt n’évoque pas la nécessité pour le maître d’ouvrage de s’assurer que la caution a bien été transmise au sous-traitant, car la question n’était pas posée dans ces termes et reste donc entière.

La position de la troisième chambre de la Cour de cassation, dans cet arrêt du 6 juillet 2023, apparaît pragmatique, car le maître d’ouvrage est un tiers à la relation existant entre l’entrepreneur principal et le sous-traitant : le rendre garant de la validité du contrat de sous-traitance était finalement une manière de l’impliquer dans cette relation contractuelle. D’autant que la caution avait bien été obtenue et pouvait être mise en jeu par le sous-traitant.

 

 

Cécile BENOÎT-RENAUDIN

 

© Photo credit : Mithul Varshan

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