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Cass. Civ., 30 mai 2024, n°22-22.823

L’arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, en date du 30 mai 2024, soulève la délicate question de l’application des garanties d’assurance décennale pour des travaux sur des ouvrages existants.

Après avoir opéré un changement radical par son arrêt de principe du 21 mars dernier concernant le régime de responsabilité applicable aux travaux neufs impliquant l’adjonction d’un élément d’équipement sur une structure existante, la Cour de cassation clarifie, par ce nouvel arrêt, l’interprétation de l’article L. 243-1-1 II du Code des assurances.

Elle continue dès lors dans sa logique jurisprudentielle amorcée il y a peu.

Il est utile de rappeler, pour éclairer sur cette évolution jurisprudentielle, que l’intention de la Haute juridiction est de mettre fin à l’‘instabilité de la situation crée par le fameux « arrêt Chirinian » (Cass. Civ., 1ère, 29 février 2000, 97-19 .143).

En effet, la Chambre civile de la Cour de cassation avait jugé que les travaux effectués sur une partie nouvelle, étaient couverts par l’assurance construction obligatoire quand bien même les ouvrages neufs étaient totalement distincts et parfaitement dissociables des ouvrages existants.

Cet arrêt, considéré par une grande majorité de la doctrine comme une dérive jurisprudentielle susceptible de menacer l’équilibre même de notre système d’assurance obligatoire, avait suscité un vif tollé.

Il a conduit ensuite à élargir la portée de la responsabilité civile décennale aux désordres affectant les éléments d’équipement sur des ouvrages existants, qu’ils soient dissociables ou non, d’origine ou installés, pour autant qu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (Cass. Civ., 3ème 15 juin 2017, n°16-19.640 ; Cass. Civ., 3ème 14 septembre 2017, n°16-17.323 ; Cass. Civ., 3ème 26 octobre 2017, n°16-18.120).

Cette jurisprudence était pourtant non-conforme à l’esprit de l’article L. 243-1-1, II du Code des assurances, selon lequel les obligations d’assurance ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles.

Avec l’arrêt du 21 mars 2024 (Cass. Civ., 3ème mars 2024, n°22-18.694), la Haute juridiction est revenue à une interprétation plus pragmatique, puisque désormais, seule la responsabilité contractuelle de droit commun devrait être invoquée

En l’espèce, dans l’arrêt du 30 mai 2024, se plaignant d’une déformation du rampant de la toiture après réception tacite des travaux, les maîtres d’ouvrage ont assigné l’entreprise de couverture ainsi que son assureur pour obtenir réparation de leurs différents préjudices.

Par un arrêt en date du 14 juin 2022, la Cour d’appel de CAEN a condamné l’entreprise de couverture à indemniser les maîtres d’ouvrage et a ordonné à l’assureur de garantir les condamnations prononcées, s’agissant des dommages occasionnés à des existants devant être pris en charge par l’assurance de responsabilité civile décennale.

L’assureur a formé un pourvoi et contesté sa condamnation en avançant que les obligations d’assurance, telles que définies par les articles L. 241-1, L. 241-2 et L. 242-1 du Code des assurances, ne s’appliquent pas aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, sauf si ces ouvrages sont totalement incorporés dans le neuf et en deviennent techniquement indivisibles.

La Cour de cassation, se basant sur l’article L.243-1-1, II, rappelle quant à elle que les obligations d’assurance pour les ouvrages existants avant l’ouverture du chantier ne sont applicables que si ces ouvrages sont totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, rendant les deux techniquement indivisibles.

La Haute juridiction précise que :

  • les conditions pour l’application de l’assurance obligatoire sont cumulatives ;
  • les dommages causés à l’ouvrage existant ne sont garantis que si l’ouvrage neuf s’y incorpore totalement et devient techniquement indivisible avec lui.

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de CAEN en ce que cette dernière a condamné l’assureur à garantir les dommages causés à la charpente existante.

Elle écarte ici la responsabilité décennale de l’entreprise – retenue par la Cour d’appel, dans la droite ligne de la jurisprudence de 2017 de la Haute juridiction.

Elle reproche à la Cour de ne pas avoir correctement établi que l’ouvrage existant (la charpente) s’incorporait totalement dans l’ouvrage neuf (la nouvelle couverture) et qu’ils formaient un tout techniquement indivisible.

La Cour d’appel avait conclu à une garantie décennale sans justifier en quoi la charpente préexistante et la nouvelle couverture étaient techniquement indivisibles, omettant ainsi une analyse approfondie de l’indivisibilité technique exigée par l’article L. 243-1-1, II du Code des assurances.

Désormais, si les éléments d’équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas un ouvrage à part entière, ils ne sont couverts ni par la garantie décennale ni par la garantie biennale de bon fonctionnement, et ce, quelque soit le degré de gravité des désordres.

Ils relèvent désormais de la garantie contractuelle de droit commun, qui n’est pas soumise à l’assurance obligatoire des constructeurs.

Cet arrêt réaffirme l’importance de l’analyse stricte des conditions d’application de garantie des assurances décennales et la nécessité de démontrer clairement l’incorporation et l’indivisibilité technique entre les ouvrages existants et les ouvrages neufs pour l’application des garanties légales.

Cependant nous pouvons regretter l’absence de précision dans la motivation, selon laquelle, « les dommages subis à l’ouvrage existant ne sont pas garantis lorsque c’est l’ouvrage neuf qui vient s’y incorporer », alors même qu’aux termes du texte, il est indiqué que l’exception vise expressément « les ouvrages existants ».

Victoire KOLINGAR-LHERMENIER

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