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Cass. Civ 3ème, 11 juillet 2024, n°23-18.495

 

L’arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 11 juillet 2024 aborde la délicate question de la prescription en matière de responsabilité civile de droit commun.

Dans cette décision, la Haute juridiction rappelle que dans ce domaine, le délai de prescription, interrompu par une assignation en référé expertise, recommence à courir pour une durée identique à partir du dépôt du rapport d’expertise.

En l’espèce, à la suite d’une consommation anormale d’eau, une société détecte une fuite dans le local qu’elle exploitait.

Après avoir fait réparer la canalisation alimentant le local par l’entreprise responsable de son endommagement, elle a saisi par une requête en date du 6 mai 2013, le juge des référés sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile afin de solliciter l’organisation d’une expertise judiciaire.

Le juge a fait droit à cette demande par une ordonnance de référé en date du 25 juin 2013 et le rapport d’expertise est déposé le 24 juin 2015.

Par exploits en date des 10 et 12 août 2020, le liquidateur judiciaire de la société requérante a assigné en indemnisation l’entreprise responsable des dommages, son assureur et la compagnie d’eau.

Par un jugement du 4 mai 2021, les premiers juges ont déclaré irrecevables ses demandes en faisant valoir que la prescription était acquise.

Ce jugement est confirmé par la Cour d’appel de Montpellier par un arrêt en date du 18 avril 2023.

Les juges ont estimé, d’une part que le délai de prescription quinquennale prévu à l’article 2224 du Code civil avait recommencé à courir pendant 50 jours, entre la saisine du juge des référés, le 6 mai 2013, et le prononcé de son ordonnance prescrivant une expertise judiciaire, le 25 juin 2013.

D’autre part, ils ont considéré qu’à la fin de la suspension du délai quinquennal, lors du dépôt du rapport d’expertise le 24 juin 2015, le délai de prescription avait de nouveau commencé à courir, déduction faite des 50 jours susvisés.

La question cruciale de cette affaire, réside en réalité dans l’imputation des 50 jours écoulés entre la date de délivrance de l’assignation en référé et le prononcé de l’ordonnance de référé.

Dans ces circonstances, en décomptant les 50 jours écoulés entre la date de délivrance de l’assignation et l’ordonnance de référé, la prescription de l’action était fixée au 5 mars 2020, et le demandeur se voyait privé du bénéfice de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020, modifiée par l’ordonnance n°2020-666 du 3 juin 2020 laquelle prolongeait le droit pour agir jusqu’au 24 août 2020.

Cela était d’autant plus regrettable que les assignations au fond avaient été délivrées les 10 et 12 août 2020, soit avant la fin de cette prolongation.

La Haute juridiction censure cette analyse dans son arrêt du 11 juillet 2024, puisqu’elle casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel en rappelant les principes juridiques applicables au cas d’espèce conformément aux dispositions des articles 2224, 2239, 2241 et 2242 du Code civil.

Ainsi aux termes du premier texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettre de l’exercer.

En application de l’article 2239 du Code civil, la prescription a été suspendue par une décision ayant fait droit à une mesure d’instruction présentée avant tout procès.

Enfin, en application des articles 2241 et 2242 du Code civil, la demande en justice même en référé, interrompt le délai de prescription et l’interruption de la prescription résultant de cette demande produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance.

La Cour de cassation avait jugé dans un précédent cas que lorsque le juge accueille une demande de mesure d’instruction avant tout procès, la suspension de la prescription, qui fait, le cas échéant, suite à l’instruction de celle-ci au profit de la partie ayant sollicité la mesure de référé tend à préserver les droits de cette partie durant le délai d’exécution de la mesure et ne joue qu’à son profit (Cass. Civ. 2ème, 31 janvier 2019, pourvoi n°18-10.011, publié au bulletin).

Dans le cas d’espèce, la Haute juridiction rappelle qu’il n’y a pas lieu à remettre en cause la suspension de la prescription qui avait été interrompue par la délivrance d’une assignation en référé jusqu’au dépôt du rapport d’expertise.

Par conséquent, il n’y avait pas lieu de soustraire les 50 jours, ce qui permettait au requérant d’assigner valablement au fond avant le 24 août 2020.

Cette décision souligne la nécessité d’une compréhension approfondie des mécanismes de prescriptions afin d’éviter la censure des juridictions.

 

Victoire KOLINGAR-LHERMENIER

Credit photo : @ Image libre de droit publiée sur pexels

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