Cass. Civ. 3ème 18 janvier 2024 n°22-20.995, 22-22.224, 22-22.302
Cass. Civ. 3ème 7 mars 2024 n°22-23.309
La Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler les obligations du maître de l’ouvrage et de l’entreprise principale en matière de sous-traitance irrégulière, et préciser les actions susceptibles d’être mises en œuvre, selon les rapports considérés, entre le maître de l’ouvrage, l’entrepreneur principal, et les sous-traitants.
L’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance impose au maître d’ouvrage deux obligations :
- Mettre en demeure l’entrepreneur principal ou le sous-traitant de lui présenter tout sous-traitant non accepté et dont les conditions de paiement n’ont pas été agréées, dont il a connaissance de la présence sur le chantier,
- En cas de sous-traitant accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées, exiger de l’entrepreneur principal qu’il justifie avoir fourni une caution bancaire au sous-traitant garantissant le prix des travaux sous-traités, si ce dernier ne bénéficie pas d’une délégation de paiement.
En cas de sous-traitance irrégulière au regard des dispositions de la loi du 31 décembre 1975, le sous-traitant qui se retrouve confronté à l’insolvabilité de l’entreprise principale peut obtenir le paiement du solde de ses travaux par le maître d’ouvrage en engageant sa responsabilité quasi-délictuelle sur le fondement des dispositions de l’article 14-1 de la loi de 1975 et de celles de l’article 1240 du code civil, à condition de démontrer que le maître d’ouvrage a commis une faute en laissant persister une opération de sous-traitance irrégulière.
Dans un arrêt du 18 janvier 2024, une société, sous-traitante de second rang, a assigné les différents maîtres d’ouvrage des chantiers sur lesquels elle intervenait, leur reprochant de ne pas avoir mis en demeure le sous-traitant de premier rang qui l’avait mandatée de satisfaire aux obligations de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, et sollicitant l’indemnisation de ses préjudices.
Cette société s’était vu confier une partie des tâches de démolition et terrassement incombant au sous-traitant de premier rang, consistant en l’évacuation, le transport et le traitement des terres excavées, et mettant en œuvre des compétences techniques et logistiques complexes, de sorte que son intervention ne pouvait être réduite à la fourniture de bennes ou à l’évacuation en déchetterie.
Il résulte de l’article 1er de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 qu’a la qualité de sous-traitant celui qui exécute, au moyen d’un contrat d’entreprise, tout ou partie d’un contrat d’entreprise conclu entre le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur principal.
Au vu de ce qui précède, la Cour de cassation a retenu, à l’instar des juges d’appel, que cette société avait bien la qualité de sous-traitant.
Concernant le manquement des maîtres de l’ouvrage, celui-ci est caractérisé par le fait qu’ils se sont abstenus, bien qu’ayant eu connaissance de l’existence d’un sous-traitant non agrée sur leur chantier, de mettre en demeure l’entrepreneur principal ou le sous-traitant de s’acquitter des obligations qui lui incombent en leur présentant le sous-traitant.
La conséquence de ce manquement du maître d’ouvrage est la perte du bénéfice de l’action directe pour le sous-traitant.
Concernant l’entrepreneur principal, si celui-ci est « responsable à l’égard du maître de l’ouvrage des manquements de son sous-traitant commis dans l’exécution des prestations sous-traitées, sans qu’il soit besoin de démontrer sa propre faute, il n’a pas à répondre, sauf stipulation contraire, des manquements de ce sous-traitant à l’égard de ses propres sous-traitants ».
Dès lors, la Cour de cassation a affirmé que l’entrepreneur principal ne peut être condamné à garantir les maîtres de l’ouvrage des condamnations prononcées contre eux au profit du sous-traitant de second rang sur le fondement de l’article 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, par des motifs impropres à caractériser une faute de l’entrepreneur principal dans l’exécution de ses obligations contractuelles ou un manquement de son sous-traitant dans l’exécution des prestations sous-traitées.
Enfin, concernant le préjudice subi par le sous-traitant, il doit être apprécié au regard de ce que le maître de l’ouvrage restait devoir à l’entrepreneur principal, à la date à laquelle il a eu connaissance de la présence de celui-ci sur le chantier.
Ainsi, la Cour retient que « le sous-traitant dont le contrat n’est pas annulé, ne peut prétendre à d’autres sommes au titre de l’indemnisation du coût des travaux, que celles prévues par le sous-traité ».
En revanche, dans le cas où le sous-traitant a été accepté par le maître d’ouvrage et ses conditions de paiement agréées, mais que ledit maître d’ouvrage n’a pas exigé de l’entrepreneur principal qu’il justifie la fourniture d’une caution bancaire au sous-traitant garantissant le prix des travaux sous-traités, (sauf délégation de paiement), le préjudice réparable du sous-traitant ne se limite alors plus aux impayés de l’entrepreneur principal.
C’est ce qu’a affirmé la Cour de cassation dans son arrêt du 7 mars 2024, en indiquant que le préjudice est égal à la différence entre les sommes que le sous-traitant aurait dû recevoir si une délégation de paiement lui avait été consentie ou si un établissement financier avait cautionné son marché et celles effectivement reçues.
En l’espèce, le sous-traitant avait été accepté par le maître d’ouvrage mais ne disposait d’aucune garantie de paiement prévue par l’article 14 de la loi de 1975, à savoir une caution bancaire ou une délégation de paiement, ce dont le maître d’ouvrage ne s’est pas inquiété contrairement aux dispositions de la loi de 1975.
Contestant le décompte général définitif en raison de malfaçons et retard dans l’exécution des travaux, le maître d’ouvrage n’a pas payé les situations de l’entrepreneur principal, de sorte que ce dernier n’a pas payé son sous-traitant.
Le sous-traitant a alors assigné le maître d’ouvrage aux fins de règlement du solde de ses factures, l’entrepreneur principal ayant été par la suite liquidé.
Eu égard au manquement susvisé du maître d’ouvrage, la Cour de cassation a retenu l’intégralité de la créance du sous-traitant à l’égard de l’entrepreneur principal au titre des travaux impayés, sans exception ni droit de regard quelconque du maître d’ouvrage.
En effet, elle a censuré l’arrêt d’appel qui avait limité la demande indemnitaire du sous-traitant, l’indemnisation accordée à celui-ci devant être « déterminée, par rapport aux sommes restant dues par l’entrepreneur principal au sous-traitant, peu important que les travaux aient été acceptés par le maitre d’ouvrage dès lors qu’ils avaient été confiés au sous-traitant pour l’exécution du marché principal ».
Chloé DUVIVIER