Cass, Civ. 3ème, 7 novembre 2024, n° 22-14.088
La Cour de cassation vient, par cet arrêt, interdire l’indemnisation d’un préjudice postérieur à la date de possible remise en état ; subséquemment, elle renforce les exigences de preuve de l’existence d’un lien de causalité pour obtenir l’indemnisation d’un préjudice de jouissance (I).
De surcroit, la Cour de cassation précise la qualification de demande reconventionnelle par opposition à la défense au fond (II).
En l’espèce, deux époux ayant confié la réalisation de travaux d’extension de leur maison à un entrepreneur se sont plaints de désordres apparus avant et après la réception des travaux.
(I) Aux termes d’un jugement rendu le 25 novembre 2019 par le tribunal de grande instance de Rouen, l’entrepreneur et son assureur furent condamnés à verser aux demandeurs la somme nécessaire à la réalisation des travaux permettant de mettre fin à leur trouble de jouissance.
Le versement a été réalisé le 18 juin 2020.
Les époux ont toutefois décidé de ne pas procéder à la remise en état de leur bien, et ont interjeté appel du jugement.
La Cour d’appel de Rouen a, dans son arrêt du 2 mars 2022, confirmé le principe du préjudice de jouissance subi par les époux.
L’arrêt précise cependant que ce préjudice de jouissance ne saurait être indemnisé au-delà du 1er janvier 2021, date à compter de laquelle les appelants auraient pu avoir achevé les travaux de remise en état de leur bien, compte tenu de la date de réception des sommes versées par l’entrepreneur et son assureur et des délais habituels d’organisation et de réalisation de ce type de travaux.
Selon la Cour d’appel, les appelants, n’ayant pas fait réaliser les travaux pour lesquels ils avaient reçu le financement nécessaire, ne peuvent prétendre être indemnisés au titre d’un préjudice de jouissance postérieur au 1er janvier 2021, mais peuvent cependant prétendre percevoir une indemnisation complémentaire à celle perçue en première instance pour la période allant du 25 novembre 2019, date du jugement, au 1er janvier 2021.
La Cour de cassation, par un arrêt en date du 7 novembre 2024, valide l’argumentaire de la Cour d’appel de Rouen, selon lequel la somme reçue par les époux, non contestée par l’entrepreneur et son assureur et confirmée en cause d’appel, devait permettre d’exécuter les travaux litigieux et mettre fin à leur préjudice de jouissance au plus tard le 1er janvier 2021.
Elle confirme ainsi que le préjudice de jouissance subi par les maîtres de l’ouvrage postérieurement à cette date ne présente pas de lien de causalité avec les manquements de l’entrepreneur et leur demande d’indemnisation à ce titre devait être rejetée.
La Cour de cassation fait ici application du principe de la responsabilité civile contractuelle prévu à l’article 1231-1 du Code civil.
Le préjudice de jouissance résultant des fautes de l’entrepreneur ayant déjà été indemnisé intégralement par la somme allouée par les juges du fond, les maîtres de l’ouvrage ne sauraient obtenir une nouvelle indemnisation de ce préjudice, dès lors qu’ils ont été mis en mesure de faire cesser le trouble.
Il leur appartenait de réaliser les travaux nécessaires, ou à défaut, de faire leur affaire des conséquences de l’absence de réalisation des travaux.
(II) Par ailleurs, cet arrêt rappelle la qualification de demande reconventionnelle.
Au cas particulier, l’entrepreneur sollicitait la déduction du solde du prix des travaux du montant des indemnités devant revenir aux maîtres de l’ouvrage, sur le fondement d’une facture impayée datée du 30 mai 2012.
Le tribunal a jugé que cette demande en paiement était prescrite sur le fondement du délai biennal de l’article L.137-2 du code de la consommation, considérant que la première demande en justice avait été formulée par conclusions notifiées le 24 janvier 2018.
La Cour d’appel a infirmé le jugement et fait droit à cette prétention, considérant que l’entrepreneur n’avait pas formé de demande distincte en paiement dont la recevabilité serait susceptible d’être contestée sur le terrain de la prescription, mais formulait seulement un simple moyen visant à la juste évaluation du préjudice.
La Cour de cassation casse l’arrêt sur ce motif, en rappelant les définitions de la demande reconventionnelle et de la défense au fond, visées respectivement aux articles 64 et 71 du code de procédure civile.
La demande reconventionnelle vise à octroyer au défendeur originaire un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire, de sorte que la demande de l’entrepreneur tendant au paiement, par compensation, de sa propre créance constitue bien une demande reconventionnelle et non une défense au fond.
Marianne KOHEN et Xavier LEGRIS
Credit photo : @ Image libre de droit publiée sur pexels le 22 octobre 2024



