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Revirement jurisprudentiel : retour à une interprétation restrictive de la responsabilité décennale pour les éléments d’équipement sur ouvrage existant

Cass. Civ. 3ème 21 mars 2024 n°22-18.694

 

Par un arrêt de principe rendu le 21 mars 2024, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a sonné le glas de sa ligne jurisprudentielle initiée par l’arrêt emblématique du 15 juin 2017 (Cass. Civ. 3ème, 15 juin 2017, n° 16-19.640).

Ce mouvement élargissait la portée de la responsabilité civile décennale aux désordres affectant les éléments d’équipement sur des ouvrages existants, qu’ils soient dissociables ou non, d’origine ou installés, pour autant qu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (Cass. Civ., 3ème, 14 septembre 2017, n°16-17.323).

Dans une logique similaire, la Cour de cassation avait également considéré que la réparation des désordres affectant l’élément d’équipement installé sur existant rendant l’ouvrage, dans son ensemble impropre à sa destination relevait de l’assurance construction obligatoire (Cass. Civ. 3ème, 26 octobre 2017, n° 16-18.120).

Il résultait de ces trois arrêts rendus en 2017 que la simple installation ou le simple remplacement d’un élément d’équipement sur un ouvrage existant (un chauffage, une chaudière, une climatisation, un insert) même sans incorporation au gros œuvre ni effort d’adaptation par des travaux de construction, tombait dans le champ de la garantie décennale, dès lors que l’élément installé/remplacé rend l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination.

Il tombait de même dans le champ de l’assurance obligatoire (qui devra indemniser la totalité des dommages causés, y compris l’existant, quoiqu’en dise l’article L.243-1-1 du Code des assurances).

Avec ce nouvel arrêt en date du 21 mars 2024 destiné à être publié au Bulletin et au Rapport, la Haute juridiction revient à une interprétation plus pragmatique, puisque désormais, seule la responsabilité contractuelle de droit commun devrait pouvoir être invoquée, dans l’épure de sa précédente jurisprudence (Cass. Civ., 3ème, 10 décembre 2003, n°02-12.215).

En l’espèce, le litige concernait des époux qui avaient fait installer un insert dans la cheminée de leur maison par une société, puis subi un incendie qui a détruit totalement leur demeure.

L’assureur de cette société qui a été condamné à verser des indemnités aux victimes au titre de la garantie décennale a contesté sa condamnation, arguant que l’installation d’un insert de cheminée ne relevait pas de cette garantie.

La Cour de cassation écarte la responsabilité décennale de l’installateur – retenue par la Cour d’appel, dans la droite ligne de sa jurisprudence de 2017 pour juger que les éléments d’équipement en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne relèvent ni de la garantie décennale, ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quelle que soit la gravité des désordres.

Ils sont désormais soumis à la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l’assurance obligatoire des constructeurs.

La Haute juridiction, consciente de l’importance de ce revirement, se veut pédagogue.

Pour expliquer ce changement de cap opéré en 2017, elle rappelle les principes de responsabilité décennale des constructeurs tels que définis par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 du Code civil.

Elle explique de manière très détaillée les raisons de ce changement de cap, en rappelant qu’auparavant, les dommages causés par les dysfonctionnements d’un élément d’équipement adjoint à une construction existante n’étaient pas couverts par la garantie décennale des constructeurs.

A l’époque, deux objectifs étaient poursuivis :

  • simplifier les règles en ne faisant plus de distinction entre les éléments d’équipement d’origine et ceux ajoutés à l’existant,
  • mieux protéger les maîtres d’ouvrage engagés dans les travaux de rénovation de leur habitat.

Elle reconnait par cet arrêt que ces objectifs n’ont pas été atteints.

La position adoptée avec les arrêts de 2017 a conduit à l’apparition d’un nouveau débiteur de la garantie décennale, en l’occurrence un simple fournisseur et installateur dans une maison existante.

Consciente depuis quelques années déjà des difficultés rencontrées en application de cette jurisprudence, la Cour de cassation avait commencé à amorcer son virage en rappelant que ces règles ne s’appliquaient que si l’élément d’équipement en cause était destiné à fonctionner (Cass. Civ. 3ème, 13 févr. 2020, n° 19-10.249 ; Cass. Civ. 3ème, 13 juillet 2022, n°19-20.231),

La Haute juridiction conclut qu’il est donc préférable de renoncer à la solution jurisprudentielle initiée en 2017, au profit d’une nouvelle approche qui s’applique aux affaires en cours, y compris celle jugée aujourd’hui.

Cette nouvelle jurisprudence semble dès lors conforme à l’esprit de l’article L.243-1-1 du Code des assurances, selon lequel les obligations d’assurance ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles.

Force est de constater que l’application de la jurisprudence de 2017 était manifestement contra legem puisqu’elle prenait à rebours ce que disent les textes.

Pour autant, cette nouvelle solution ne semble pas plus protectrice à l’égard du Maître d’ouvrage qui dispose désormais d’un simple recours auprès de son assureur multirisques-habitation ou de l’assurance facultative d’assurance de l’installateur de cet élément d’équipement.

 

Victoire KOLINGAR-LHERMENIER

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