Cour de cassation, chambre mixte, 21 juillet 2023, pourvois n° 21-15.809, 21-17.789, 21-19.936, 20-10.763.
Par quatre arrêts remarqués du 21 juillet 2023, la formation en chambre mixte de la Cour de cassation vient de trancher le débat controversé portant sur le délai de l’action en garantie des vices cachés.
En prenant position dans ces quatre affaires, la Cour de cassation met fin au conflit qui opposait depuis plusieurs années sa première chambre civile et sa chambre commerciale à sa troisième chambre civile.
Dans la première affaire, un producteur de pulpe de tomate a passé commande de poches de conditionnement alimentaire auprès d’une société.
Plusieurs clients se sont plaints d’une détérioration de la pulpe de tomate provoquée par un gonflement des poches.
L’expertise judiciaire a conclu à un défaut de fabrication.
Le producteur a assigné en justice le vendeur et son assureur en invoquant la garantie des vices cachés.
Les juridictions du fond lui ont donné raison.
Le fabricant des poches et son assureur ont formé un pourvoi en cassation (C. Cass. ch. mixte, 21 juillet 2023, n°21-15.809).
Dans la seconde affaire, un véhicule acheté d’occasion est tombé en panne et l’expertise judiciaire a établi qu’il présentait un défaut de fabrication.
L’acquéreur a intenté une action en réparation contre le fabricant en se fondant sur la garantie des vices cachés.
Les juridictions du fond ont condamné le fabricant à indemniser l’acquéreur. Cependant, le fabricant a formé un pourvoi en cassation en prétendant que l’action en garantie était prescrite (C. Cass, ch. mixte, 21 juillet 2023, n°21-17.789).
Dans la troisième affaire, un véhicule également acheté d’occasion est tombé en panne.
L’expertise judiciaire a confirmé un défaut de fabrication.
L’acquéreur a intenté une action en justice à la fois contre le vendeur du véhicule, le fabricant du véhicule et son assureur.
Les juges du fond ont considéré que l’action de l’acquéreur contre le fabricant était prescrite cependant, ils ont condamné le revendeur à indemniser l’acquéreur et condamné également le fabricant à garantir intégralement le revendeur.
Le fabricant a formé un pourvoi en cassation (C. Cass., ch. mixte, 21 juil. 2023, n°21-19.936).
Dans la quatrième affaire, un producteur agricole avait chargé un constructeur de couvrir un bâtiment en utilisant des plaques de fibrociment.
Ce dernier s’était approvisionné auprès d’un fournisseur, qui les avait lui-même obtenues d’un fabricant.
Des infiltrations d’eau dans la toiture du bâtiment ont été constatées et confirmées par une expertise judiciaire.
Le producteur agricole a assigné en justice le constructeur, le fournisseur et le fabricant et a sollicité une indemnisation.
Le constructeur, quant à lui, a invoqué la garantie des vices cachés pour appeler en garantie le fournisseur et le fabricant.
Le Tribunal de commerce a condamné le constructeur à indemniser le producteur agricole, mais a rejeté les appels en garantie du constructeur à l’encontre du fournisseur et du fabricant.
La Cour d’appel a en revanche condamné le fournisseur et le fabricant à garantir le constructeur des condamnations prononcées à son encontre.
La Chambre commerciale de la Cour de cassation a censuré la décision de la Cour d’appel.
La Cour d’appel chargée de rejuger l’affaire a déclaré que l’action en garantie du constructeur était prescrite.
Le constructeur a donc formé un pourvoi en cassation (C. Cass. ch. mixte, 21 juillet 2023, n°20-10.763).
Avec ces quatre arrêts, la Cour de cassation apporte une réponse unifiée quant aux délais pour agir en garantie des vices cachés contre les fabricants.
La chambre mixte confirme que le délai de deux ans de l’action en garantie des vices cachés peut notamment être suspendu par une mesure d’expertise judiciaire.
Il s’agit d’un délai de prescription et non de forclusion.
Pour rappel, la garantie des vices cachés énoncée aux articles 1641 et suivants du Code civil, impose au vendeur professionnel ou occasionnel de livrer un bien exempt de vices susceptibles de compromettre l’utilisation souhaitée par l’acheteur.
Quant à l’article 1648 du Code civil, il rappelle que l’action en garantie des vices cachés doit être engagée dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.
Cependant, la question du délai butoir pour engager l’action en garantie des vices cachés se posait (Cour de cass. ass. plén, 17 mai 2023, pourvoi n°20-20-559).
Or, la Haute juridiction précise dans ces arrêts du 21 juillet 2023 que l’action en garantie des vices cachés est désormais strictement encadrée par l’article 2232 du Code civil (selon lequel « Le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit. ».
Ainsi, l’action doit être initiée dans un délai de deux ans à partir de la découverte du vice, ou dans le cas d’une action récursoire, à compter de l’assignation, sans pouvoir excéder le délai butoir de vingt ans à partir de la date de naissance du droit, qui est déterminée non pas par la connaissance du vice, mais au jour de la conclusion du contrat de vente.
Il ressort de la lecture de ces quatre arrêts que la Cour de cassation a souhaité apporter une solution unifiée aux préoccupations de tous les acquéreurs, qu’ils soient des consommateurs, des particuliers ou des commerçants, qui ont découvert un défaut de fabrication et se demandent de combien de temps ils disposent pour engager une action en réparation.
Cependant, nous ne pouvons que nous interroger sur ces délais de prescription dont les points de départ ne sont pas toujours faciles à identifier.
En outre, cela suscite également des interrogations quant à la conservation des documents comptables, notamment des factures, qui est actuellement fixée à 10 ans alors même que des litiges pourraient survenir après l’expiration de ce délai.
Victoire KOLINGAR-LHERMENIER
Credit photo : Kyle Sudu @ Image libre de droit publiée sur unsplash le 3 août 2017 – à Chicago