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Acceptation des risques par le Maître d’Ouvrage

On ne peut présumer le lien de causalité entre l’acceptation du risque par le Maître d’ouvrage et le dommage constitué par sa réalisation.

Cass. Civ. 3ème, 23 septembre 2020, pourvoi n°19-13.890

 

Par un arrêt en date du 23 septembre 2020, la Cour de cassation vient préciser les conditions d’exonération du locateur d’ouvrage en cas d’acceptation des risques par le Maître d’ouvrage.

La responsabilité décennale de plein droit des constructeurs pour les désordres leur étant imputables et recouvrant les critères d’application de l’article 1792 du Code civil peut parfois être écartée, dans certaines circonstances tenant notamment à l’intervention du maître d’ouvrage.

Il s’agit ni plus ni moins de l’application de l’alinéa second de l’article 1792 précité, qui dispose qu’ « une telle responsabilité n’a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d’une cause étrangère ».

On évoque alors souvent le caractère exonératoire que revêt l’immixtion fautive du maître d’ouvrage qui, notoirement compétent (à moins que le défaut soit si évident qu’un maître d’ouvrage profane aurait dû le relever), commet des actes positifs ou négatifs d’immixtion dans la conduite des travaux ou leur conception.

Plus rarement jugée, la problématique de l’acceptation délibérée des risques par le maître d’ouvrage, qui constitue une cause d’exonération autonome de l’immixtion fautive, trouve néanmoins application dans un certain nombre d’espèces, comme c’est le cas pour l’arrêt commenté.

Précisons au préalable que, par sa nature même, la reconnaissance de cette cause exonératoire n’est pas soumise à la démonstration de la compétence du maître d’ouvrage, et ce dès lors que l’acceptation des risques suppose, par principe, une pleine connaissance de ceux-ci.

En l’espèce, le litige portait sur la construction, sur un terrain en pente, d’un ensemble de villas touchées, après réception, par des glissements de terrain et des coulées de boues ponctuelles.

Ces phénomènes ont occasionné des désordres importants, tant aux parties communes extérieures de l’ensemble immobilier qu’aux fondations de deux de ces villas.

Après expertise, le syndicat des copropriétaires et les propriétaires de villas touchés par les désordres ont assigné le maître d’ouvrage, les locateurs d’ouvrage et membres de la maîtrise d’œuvre, ainsi que leurs assureurs, afin d’obtenir leur condamnation à réparer les désordres sur le fondement de l’article 1792 du Code civil.

S’agissant plus précisément du maître d’ouvrage, professionnel de l’immobilier, il ressortait tant des faits de l’espèce que des conclusions du rapport d’expertise que celui-ci avait été clairement informé par le bureau de contrôle des risques tenant à :

  • l’absence d’étude géotechnique sur les talus réalisés lors de l’opération de construction ;
  • l’absence de soutènement des mêmes talus, qui servaient de support aux constructions et modelaient de façon générale le terrain d’assiette de l’opération.

En premier instance et en appel, les juges ont estimé que le maître d’ouvrage avait délibérément accepté le risque d’effondrement en passant outre les alertes insistantes du bureau de contrôle en ce sens et les recommandations claires qui s’ensuivaient.

La responsabilité des locateurs d’ouvrage, tout comme la mobilisation des garanties de l’assureur « constructeur non-réalisateur » du maître d’ouvrage, a donc été écartée.

La Cour de cassation, tout en énonçant à nouveau ces circonstances particulières qui semblaient caractériser la volonté délibérée du maître d’ouvrage de passer outre les recommandations de spécialistes avertis, n’en casse pas moins l’arrêt d’appel au visa suivant : « En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, en l’état de l’inadaptation de la profondeur d’ancrage des fondations des deux villas et des non-conformités affectant le système de captage et d’évacuation des eaux pluviales et de ruissellement que l’expert judiciaire avait constatées, le comportement du maître de l’ouvrage était la cause directe des désordres de nature décennale qu’elle a retenus, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. ».

Autrement dit, la Cour de cassation souligne par cet arrêt que le lien de causalité entre l’acceptation du risque par le maître d’ouvrage et le dommage constitué par la réalisation de ce risque ne peut être présumé et doit par conséquent être démontré par la partie qui prétend s’exonérer de sa responsabilité.

On ne peut qu’approuver la rectitude de la position affirmée dans cet arrêt d’un strict point de vue juridique, tout en observant qu’elle peut sembler sévère au regard du comportement adopté par le maître d’ouvrage dans le cas d’espèce.

En effet, les décisions que le maître d’ouvrage est amené à prendre au cours du chantier dans le périmètre de son domaine d’intervention, en dehors toute immixtion fautive, demeurent le plus souvent secondaires dans la survenance des dommages qui présentent fréquemment plusieurs origines.

Retenir une autre approche aurait conduit à affaiblir considérablement le régime de responsabilité de plein droit des articles 1792 et suivants du Code civil, en opposant à la présomption de responsabilité des constructeurs qui en découle une forme de « présomption de causalité » de l’acceptation des risques.

 

Tanguy HUERRE

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