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Le voisin n’est pas obligé de prêter son terrain

Tour d’échelle et proportionnalité : le voisin n’est pas obligé de donner accès à son terrain pour les besoins des travaux même temporairement.

Cass. Civ. 3ème, 12 novembre 2020, n°19-22.106

 

Une récente décision de la troisième chambre civile de la Cour de Cassation (Cass. Civ. 3ème, 12 novembre 2020, n°19-22.106) nous donne l’occasion de revenir sur une notion de droit immobilier particulièrement importante sur le plan pratique, bien que peu abordée dans les ouvrages et négligée par la loi.

D’origine prétorienne, la servitude de tour d’échelle confère à un propriétaire le droit de disposer d’un accès temporaire au fonds d’une propriété contiguë à la sienne pour effectuer les travaux nécessaires à la conservation de son bien (Cass. Civ. 1ère,14 décembre 1955 D. 1956, jurispr. p. 283).

La jurisprudence a précisé les modalités d’exercice de ce droit provisoire d’accès au fonds voisin, en considérant que le refus du voisin de laisser passer sur son fonds le propriétaire de l’ouvrage à entretenir, peut être constitutif d’une faute délictuelle sur le fondement de l’abus de droit (Cass. Civ. 3ème 15 avril 1982, pourvoi n° 80-17.108); la solution a été étendue aux travaux neufs (voir une application récente pour laquelle il semble que la caractérisation de l’abus de droit n’est désormais plus nécessaire : Cass. Civ. 3ème, 26 mars 2020, n°18-25.996).

Néanmoins, en l’absence de constitution d’une servitude de tour d’échelle ou de mise en œuvre d’une solution amiable entre deux voisins, le recours au juge est dès lors un préalable nécessaire.

C’est la situation dans laquelle s’est trouvée une société propriétaire d’un terrain contigu à celui appartenant à une SCI, après avoir obtenu un permis de construire l’autorisant à édifier un immeuble en limite de sa propriété.

Soutenant que la pose et l’isolation des fondations de l’immeuble nécessitaient la réalisation de travaux de terrassement sur la parcelle voisine, le maître d’ouvrage a assigné la SCI en autorisation de tour d’échelle afin de pouvoir pénétrer sur son fonds pendant la durée des travaux.

Dans son pourvoi formé suite au refus de la cour d’appel de faire droit à sa demande, la demanderesse insistait sur le permis de construire délivré et arguait, du fait de l’autorisation ainsi accordée et de l’atteinte au droit de propriété pouvant en résulter, qu’il appartenait au juge saisi de procéder à l’évaluation du préjudice subi par le propriétaire voisin.

La Cour de cassation rejette l’argumentation et retient que : « La cour d’appel a souverainement retenu, d’une part, que, l’environnement urbain étant peu dense et la société SC […] disposant d’un terrain étendu lui permettant de modifier l’implantation de son immeuble en retrait de la limite séparative, la réalisation de son projet ne rendait pas indispensable une intervention sur le terrain voisin et, d’autre part, que les travaux envisagés, qui impliquaient la démolition d’un mur, le creusement d’une tranchée de 2,70 mètres de profondeur et de 3 mètres de large tout le long du chemin d’accès à la parcelle voisine et la privation de l’usage de son parking pendant au moins six semaines, étaient de nature à porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété de la SCI […] ».

Selon la Haute juridiction, la demande d’autorisation de tour d’échelle devait être rejetée au motif que le demandeur à ce droit d’accès ne remplissait pas les deux conditions nécessaires pour sanctionner le refus du propriétaire voisin sur le fondement de la responsabilité civile, à savoir :

  • le caractère indispensable des travaux,
  • et l’impossibilité de les réaliser autrement qu’en accédant au fonds voisin.

Cette position est discutable, puisque comme faisait valoir le pourvoi, il s’agissait du seul moyen technique de réaliser les ouvrages tels que décrits dans le permis de construire.

En l’occurrence, la solution retenue contraint le maître d’ouvrage à procéder à une modification de l’implantation de son ouvrage, ainsi qu’à celle de son autorisation de construire.

En conclusion, le propriétaire d’un fonds, qui justifie d’un permis de construire en limite de propriété, est en droit de solliciter du juge une autorisation provisoire de « tour d’échelle » sur le fonds voisin pour lui permettre d’effectuer sur son immeuble des travaux indispensables qui ne peuvent être effectués par un autre moyen, qu’il s’agisse de travaux de réparations ou d’entretien sur un bâti déjà existant ou qu’il s’agisse de travaux d’édification d’une construction nouvelle.

Néanmoins, le maître d’ouvrage devra se préoccuper le plus tôt possible dans son appréciation de l’impact de la construction sur les avoisinants, de la juste proportion entre la gêne provoquée et l’utilité des travaux nécessitant un tour d’échelle, sous peine de graves désillusions.

 

Jean-Philippe PÈLERIN

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